Introduction
Le cahier des charges
La proposition d’un dépistage réfractif implique donc la mise en place d’une structure nouvelle qui n’est pas sans conséquence dans l’organisation des examens de santé avec en particulier un impact psychosocial et économique non négligeable. Une telle décision doit donc respecter un certain nombre de critères. Un schéma de cette démarche analytique a été proposé en particulier par Wilson et Junger (1 968 [73]) (cités par Ingram [42] et Simons [62]) :
• Il doit s’agir d’un important problème de santé.
• Les moyens doivent être simples pour le diagnostic et le trai-tement.
• Le mécanisme de cette pathologie doit être bien compris.
• Il doit y avoir un état latent reconnaissable ou précocement symptomatique.
• Il doit exister un test convenable pour l’examen qui doit être acceptable pour la population.
• Il doit y avoir un agrément sur la politique de traitement de ces patients et ce traitement doit être acceptable.
• Le coût économique doit être mis en balance avec la dépense liée aux soins dans leur ensemble.
• Il doit s’agir d’un processus à long terme et non ponctuel.
Les essais de réponses à ces diverses propositions amènent à faire en premier lieu le point sur l’existant et sur les possibilités d’amélioration.
Le dépistage « visuel »
Définitions
Le principe consiste à mettre en évidence de façon subjective chez le jeune enfant par réponse verbale ou par tests d’appariement ou par la méthode du regard préférentiel une insuffisance visuelle. Or le titre même du rapport de l’ANAES, « Dépistage précoce des troubles de la fonction visuelle chez l’enfant pour prévenir l’amblyopie », met en exergue toute l’ambiguïté qui touche le terme de dépistage. Une partie notable des troubles visuels détectés à partir de l’âge de 2 à 3 ans correspond à une amblyopie déjà installée. Il ne s’agit donc pas dans ces situations de dépistage mais bien d’une opération diagnostique pour une pathologie qui n’a pas été prévenue. Le terme de dépistage devrait donc être réservé à la recherche précoce des facteurs de risque susceptibles de conduire à l’amblyopie. Autrement dit, il s’agit de dépister des anomalies anatomiques, réfractives et motrices et non des anomalies fonctionnelles c’est-à-dire visuelles.
Résultats du dépistage visuel
Le dépistage visuel peut être divisé en 2 étapes, dont la frontière est représentée par la notion d’âge verbal.
De la naissance а l’âge verbal (2 а 3 ans)
Les différentes étapes des examens « obligatoires » du nourrisson sont supposées pouvoir mettre en évidence les manifestations du strabisme et de l’amblyopie. En dehors du refus à l’occlusion et de la rotation de la tête symptomatiques d’une amblyopie, le seul élément permettant en principe de quantifier la vision fait appel à la méthode du regard préférentiel (cartons de Teller et bébé vision). Or à ce jour la majorité des auteurs ont conclu à l’absence de fiabilité permettant de l’utiliser comme test de dépistage systématique (Speeg-Schatz [65], ANAES [3]). Ces tests ont par contre une utilité reconnue pour le suivi des handicapés moteur-cérébraux ou pour le suivi de certaines pathologies oculaires comme la cataracte congénitale unilatérale.
En fait le meilleur élément pour suspecter et authentifier une amblyopie ou son risque est l’existence ou l’apparition d’un strabisme.
А l’âge verbal
Nous entrons ici dans le domaine du « dépistage subjectif » classique en appariement ou en dénomination de tests. Il faut rappeler que ce dépistage réalisé généralement dans le cadre des examens PMI a été relancé dans les années quatre-vingt.
Bien que présentant un intérêt dans le cadre de protocoles bien rodés, ces bilans ont fait l’objet d’appréciations très contradictoires tant sur le plan des résultats que sur celles des aboutissants thérapeutiques :
• Vérin et al (1 989 [70]) concluaient au bon fonctionnement du dépistage en maternelle, qui retrouvait 15 % d’anomalies pour 5 348 enfants examinés sur Bordeaux.
• Ingram (1 977 [36], 1 985 [40], 1 986 [43 & 44]) a pour sa part considéré que les résultats étaient aléatoires et qu’une évaluation visuelle fiable n’était guère obtenue avant l’âge de 4 ans.
• Robinson et al (1 999 [57]) ont évalué la sensibilité de ce dépistage à environ 63 % et la spécificité à environ 75 %, ce qui fait environ 1/3 d’amétropies ignorées.
L’aspect surprenant de certains résultats est illustré par la comparaison de 2 bilans contemporains :
• Rezaiguia et al (1 994 [56]) dans une série de 4 972 enfants âgés de 3 à 4 ans examinés sur le secteur de Strasbourg, ont trouvé 39 % d’enfants nécessitant une correction optique, l’essentiel correspondant à des hypermétropies et des astigmatismes.
• Vettard et al (1 994 [71]) dans une série de 17 240 enfants de 3 mois à 3 ans, sur le secteur de Lyon, ont trouvé seulement 4,1 % de suspicion de troubles visuels…
Résultats du traitement de lХamblyopie
• Sjöstrand et al (1 990 [64]) avaient souligné l’intérêt de dépister les facteurs de risque. La conclusion a été néanmoins d’encourager plutôt le dépistage subjectif à 4 ans, en considérant d’une part que c’était l’âge optimal pour examiner le plus d’enfants possible et surtout parce que les résultats du traitement de l’amblyopie étaient satisfaisants avec 45 % des enfants récupérant une acuité au moins égale à 0,7. Kvarnstrom (2 001 [50]) confirme ces résultats avec un taux d’amblyopies profondes de 0,2 %, ainsi qu’Olhsson (2 001 [55]) avec seulement 1,1 % d’amblyopies résiduelles à 12 ans.
• Clergeau (2 001 [20]) a analysé une série de 425 enfants (< 10 ans) amblyopes traités à partir de l’âge de 4 ans. Les résultats (tableau 1), sont globalement identiques à ceux de Sjöstrand sur le plan quantitatif avec 45 % de guérison. Cependant il persiste 30 % d’amblyopies importantes, dont les 2/3 associées à un strabisme.
Il est évident que l’âge de traitement n’est pas le seul critère permettant de définir les chances de récupération. La rigueur dans le suivi de ce traitement nous paraœt l’élément essentiel et avec un constat plutôt pessimiste en ce qui concerne notre pays.
AcuitŽ dŽcimale
| Avant traitement
|
|
> | 0,7
-
| 44,7 |
%
0,7 à 0,4
| 19,0 | %
25,4 |
%
0,3 à 0,1
| 68,5 | %
23,3 |
%
< | 0,1
10,1 | %
3,8 |
%
Bilatérale
| 2,4 | %
3,1 |
%
Tab 1. RŽpartition des amblyopies (Clergeau [20]).
|
Conclusion
Même si les chiffres et les opinions apparaissent variables en fonction de critères dont certains non strictement médicaux, il apparaœt que le diagnostic et le traitement tardifs des anomalies sensori-motrices sont plutôt des éléments défavorables sans même tenir compte de la possibilité d’altérations fonctionnelles de la perception visuelle telle la vision des contrastes qui n’est généralement pas explorée.
Le dépistage « réfractif »
Les insuffisances du dépistage visuel subjectif ont donc conduit à rechercher préférentiellement des facteurs de risque de l’amblyopie et du strabisme.
Le dépistage sous cycloplégie
En skiascopie
• Les premiers dépistages sous cycloplégie et en skiascopie ont été réalisés par Kramar (1 973 [49]) et par Ingram (1 973 [35]) mais dans le cadre de familles strabiques. Appliqué à une population non sélectionnée, le bilan réfractif est aussi apparu être un meilleur indice pronostique que les antécédents (Ingram 1 977 [37], 1 979 [38]). L’âge de référence était celui de 12 mois, avec une étude sous atropine (1 979 [39]) et une autre sous cyclopentolate (1 979 [40]). L’écart moyen de résultat était de 0,50 ∂ en faveur de l’atropine.
• Clergeau a réalisé le même type de dépistage en cabinet libéral à partir de 1 978, en utilisant l’atropine à 0,30 %, principalement lors du bilan prévu pour le 9e mois. Le système de recrutement était basé sur les conseils donnés aux familles par les médecins généralistes et les pédiatres. Des bilans de cette étude ont été publiés en 1 983 [17], 1 990 [18] et 2 001 [19]. La dernière analyse (2 006) comporte actuellement 3 000 dossiers entre 8 et 10 mois et confirme les résultats antérieurs rapportant une épidémiologie nettement significative des réfractions non physiologiques (~20 %).
• Rossignol et al ont rapporté les résultats de dépistages sys-té-ma-tiques réalisés dans le cadre des bilans de santé de l’enfant organisés depuis 1 970 par la CPAM de Paris. Dans une première publication (1 985 [58]), pour 130 000 examens, il est apparu une moyenne de 20 % d’amétropies, chiffre pratiquement identique à 10, 24 et 48 mois (examens réalisés sous tropicamide). Ce travail a été repris en 1 995 [59] et sur la période des 8 dernières années la prévalence des amétropies est passée progressivement de 20 à 30 % pour les 10e et 24e mois et de 25 à 35 % pour l’âge de 4 ans.
• Conclusion
L’intérêt de la skiascopie est sa grande faisabilité qui dépasse les 95 % pour un examinateur entraœné, avec un risque d’erreur faible parce que facilement suspecté lors de l’examen. Dans la marge des faibles erreurs liées à la méthode sous cycloplégie la reproductibilité intra et interexaminateurs est bonne. Pour ces raisons, la skiascopie reste à ce jour en dépit des progrès technologiques des appareils automatisés le « gold standard », c’est-à-dire la référence pour juger de la validité des autres techniques. C’est également l’examen obligé de contrôle pour approfondir les anomalies découvertes en bilan non cycloplégique.
En photoréfraction
Comme nous l’avons vu (page 31), l’intérêt majeur de la photoréfraction est de pouvoir être réalisée par un personnel non médical. Il s’agit par ailleurs d’un examen pratiqué à distance, avec photographie des deux yeux dans le même temps. L’utilisation d’une cycloplégie nécessite cependant une présence médicale.
Diverses techniques ont été utilisées, mais les seuls résultats a-na-ly-sables dans un programme de dépistage sont ceux publiés par Atkinson et al concernant le « premier programme de Cambridge » (1 983 [9], 1 984 [10], 1 996 [12]). La confrontation aux résultats skiascopiques a été jugée nettement favorable.
En autoréfraction
• La validité de l’autoréfractométrie portable (Rétinomax) a plus particulièrement été évaluée par Cordonnier (1 998 [23], 2 001 [25]). La comparaison pour l’équivalent sphérique avec la skiascopie donne une bonne concordance. Il existe par contre une différence significative de 0,30 ∂ pour la sphère maximale en faveur du Rétinomax-. L’agrément à 95 % donne un écart important, de -1,37 à +1,78 ∂ pour la sphère. Il est de -1,23 à +1,14 ∂ pour le cylindre, mais nettement plus élevé pour les forts astigmatismes.
• De Bideran (1 998 [14]) a également trouvé une bonne concordance avec la skiascopie en retrouvant également une surestimation des forts astigmatismes.
• Gole et al (2 003 [32]) ont également trouvé un décalage de 0,30 ∂ pour la sphère mais cette fois en faveur de la rétinoscopie.
En photoréfraction infrarouge
• Steele et al (2 003 [66]) ont comparé les résultats obtenus avec le Suresight- et avec le Rétinomax ainsi que par rapport à la skiascopie. Il est apparu une corrélation médiocre entre les 2 « autoréfracteurs » ainsi qu’avec la skiascopie.
Conclusion
Les conclusions des divers auteurs comportent une relative ambiguïté dans la mesure où les résultats sont globalement satisfaisants. Il apparaœt néanmoins des déviations non négligeables par rapport à la référence skiascopique. La conclusion logique de ces mêmes auteurs est unanime sur le fait que l’ensemble des appareils automatiques doivent être réservés au dépistage. Le Rétinomax apparaœt être actuellement le plus performant.
Mais en dehors des écarts entre la skiascopie et les appareils automatiques, le problème essentiel en matière de dépistage de masse reste celui de la cycloplégie.
Le dépistage non cycloplégique
Dépistage dans « le visible »
La skiascopie
• Mohindra (1 977 [53]) a décrit la skiascopie de proximité sans cycloplégie qui est pratiquée dans la pénombre, ce qui permettrait de ne pas solliciter l’accommodation. L’hypermétropie latente supposée, ajoutée à l’hypermétropie manifeste mesurée, donnerait l’é-qui-valent de la réfraction cycloplégique. Nous avons néanmoins vu que cette hypermétropie latente était sujette à caution (page 19). La description par cette méthode de l’évolution réfractive montre de toute évidence que cette technique n’est pas fiable.
La photoréfraction standard et la vidéoréfraction
• Les 2 techniques, et en particulier le videoréfracteur pédiatrique (VRP-1), ont été utilisées par Atkinson (1 996 [12]) et Anker (1 995 [5]) dans le « 2e programme de Cambridge ». La conservation d’une accommodation dans les 2 techniques, qui sert en fait d’élément diagnostique (Braddick 1 988 [15]), nécessite un réajustement des critères de facteurs de risque établis sous cycloplégie : +1,50 ∂ au lieu de +3,50 ∂ pour l’hypermétropie, -3,00 ∂ au lieu de -2,00 ∂ pour la myopie et 1,50 ∂ au lieu de 1,00 ∂ pour l’anisométropie. Surtout il convient d’appliquer pour l’évaluation de la méthode les critères statistiques de fiabilité et de prédictibilité.
• Pour Anker (2 003 [6]) l’examen en vidéoréfraction a fourni une sensibilité de 67 % et une spécificité de 96 %. Pour les tests positifs la confirmation skiascopique a été de 59 % et pour les tests négatifs de 96,8 %.
• Pour Hodi et al (1 994 [33]), la comparaison entre photoréfraction et videoréfraction (VRP-1) montre peu de concordance pour toutes les amétropies.
D’autres modèles automatisés ont été évalués :
¬ Le photoscreener MTI a été considéré comme satisfaisant par Arnold (2 005 [7]) avec un taux de prédiction positive de 90 %. En fait la performance du MTI semble largement tributaire d’éléments techniques (Tong 2 000 [69]), du choix des critères (Donahue- 2 001 [29 & 30], 2 002 [31]), de l’entraœnement pour la lecture des clichés (Mohan 2 000 [52]), de la pathologie (Simons 1 999 [61]) et des orientations diagnostiques (Donahue 2 000 [28]). Weinand et al (1 998 [72]) trouvent un résultat médiocre avec 82,8 % de sensibilité et 61,8 % de spécificité. Pour Cooper le MTI donne de mauvais résultats avec une sensibilité et une spécificité faibles et n’est pas recommandé entre 1 et 4 ans.
¬ Le I Screendigital apparaœt acceptable pour Kennedy et al (2 000 [48]) mais qui trouvent néanmoins 13,8 % de faux négatifs.
¬ Pour le photoscreener Otago, Molteno et al (1 993 [54]) ont trouvé une sensibilité de 94 % et une spécificité de 79 %. Pour Kennedy et al (1 995 [44]) la sensibilité a été de 81 % et la spécificité de 98 %.
¬ Pour le photoréfracteur d’Auckland, Hope et al (1 994 [34]) ont trouvé après prise en compte des clichés non interprétables une sensibilité de 56 à 61 % et une spécificité de 63 à 70 %.
Autoréfraction
L’évaluation du Rétinomax sans cycloplégie a été essentiellement réalisée par Cordonnier et al :
• Pour l’hypermétropie significative > +3,50 ∂, il a été recherché le meilleur seuil possible équivalent en réfraction manifeste (1 998 [22]). Le seuil de +1,50 ∂ est apparu correspondre à la meilleure combinaison possible entre sensibilité (70,2 %), spécificité (94,6 %), VPP (78,2 %) et VPN (91,1 %). Sur un plan technique il n’est pas apparu de différence notable entre mode normal et mode rapide, ce dernier étant plutôt conseillé chez le jeune enfant.
• Dans l’évaluation de l’astigmatisme (1 999 [24]), il n’est pas apparu de différence notable par rapport à la cycloplégie (0,17 ∂). Le meilleur référentiel est apparu être la valeur > 1,75 ∂, avec sensibilité de 51 %, spécificité de 98 %, VPP de 81 % et VPN de 91 %.
Dans une nouvelle étude (2 001 [26]) ont été confirmés les résultats satisfaisants du dépistage en réfraction manifeste, sauf pour l’anisométropie (critère > 1,25 ∂).
• Une comparaison avec la photoréfraction donne des résultats quasi identiques pour l’hypermétropie et un avantage au Rétinomax en ce qui concerne l’astigmatisme. La réévaluation des critères de fiabilité figure au tableau 2.
AmŽtropie
| SensibilitŽ
| SpŽcificitŽ
| PrŽdiction +
| PrŽdiction -
| Hypermétropie
| 46 | %
97 | %
55 | %
96 |
%
Astigmatisme
| 31 | %
99 | %
69 | %
96 |
%
Anisométropie
| 66 | %
93 | %
19 | %
99 |
%
Myopie
| 87 | %
99 | %
33 | %
100 |
%
Tab 2. Valeurs de dŽpistage du RŽtinomax (Cordonnier [25]).
|
Dépistage en infrarouge
Nous avons vu (page 38). que la photoréfraction conventionnelle avait évolué vers des appareils automatisés en infrarouge qui sont censés limiter le réflexe accommodatif. La différence avec l’autoréfractométrie, fonctionnant également en infrarouge, se résume à une différence de principe optique et surtout à la distance d’examen. Pour cette dernière, il existe l’avantage du non-contact et donc en principe une plus grande faisabilité. Les résultats ont été évalués sur toute une série d’appareils.
¬ Le Power-refractor est apparu globalement satisfaisant pour Abrahamsson (2 003 [1]). L’auteur signale néanmoins des différences importantes entre résultats avec et sans cycloplégie, avec en conséquence des possibilités de fortes erreurs.
¬ Le VRB 100 ou VIVA, mis au point par Angi (1 992 [4]) est un appareil présentant initialement une bonne sensibilité de 80 % et spécificité de 96 %, mais jugé non valable à la suite de modifications techniques (Cordonnier 2 001 [25], Cooper 1 999 [21]).
¬ Le Sure-Sight est actuellement l’appareil le plus utilisé.
• Adams et al (2 002 [2]) ont trouvé une reproductibilité modeste pour la sphère (1,00 ∂ au moins de différence entre 2 examens successifs) et correcte pour le cylindre. La faisabilité est bonne mais le nombre de réfractions analysables n’a été que de 88 % (de 2 à 18 mois).
• Schimitzek (2 003 [60]) a trouvé sous cycloplégie une sensibilité de 87 % et une spécificité de 80 %. En l’absence de cycloplégie, ces chiffres passent respectivement à 94 % et 63 %.
• Buchner et al (2 004 [16]) concluent à une mauvaise fiabilité du Sure-Sight en l’absence de cycloplégie pour la sphère alors qu’elle est bonne pour le cylindre. La faisabilité de l’examen est apparue élevée à 99,4 % mais globalement l’appareil est marqué par sa faible spécificité.
• Cordonnier (2 004 [27]) a comparé le Sure-Sight et le Rétinomax au Topcon sur table en réfraction manifeste et à la skiascopie en cycloplégie. L’évaluation a été basée sur les courbes ROC :
Il a été noté un biais statistique de 1,00 ∂ entre les 2 premiers appareils et le meilleur agrément avec le Topcon concerne le Rétinomax. La spécificité et la sensibilité sont meilleures pour le Rétinomax en ce qui concerne l’hypermétropie, l’astigmatisme et l’anisométropie et la performance est meilleure avec le Sure-Sight pour la myopie. En conclusion, ces 2 appareils peuvent être utilisés en dépistage mais les critères de référence doivent être différents.
Discussion
À partir des revues épidémiologiques et des performances que l’on peut attendre des divers appareils et de leur utilisation, nous pouvons aborder plus précisément la question du cahier des charges.
Les troubles visuels de lХenfant sont-ils un problЏme grave de santé ?
Cette question comporte en fait 2 aspects : le qualitatif et le quantitatif.
Le qualitatif
Cette dénomination concerne les sujets à risque, c’est-à-dire susceptibles de présenter une amblyopie et/ou un strabisme. Deux sortes de populations apparaissent plus particulièrement exposées (ANAES) :
• « Les enfants ayant des signes d’appel d’un trouble visuel : anomalies oculo-palpébrales, nystagmus, torticolis, strabisme, troubles du comportement évoquant un déficit visuel.
• Les enfants présentant une pathologie ou des antécédents (personnels ou familiaux) favorisant l’apparition d’un facteur amblyogène : prématurité, petit poids de naissance, IMC, anomalies chromosomiques, malformations crâniennes, embryopathies ».
Le quantitatif
Il représente le reste de la population, de très loin la plus importante, qui est également susceptible de présenter des anomalies visuelles, généralement de nature réfractive, sans véritable signe initial d’orientation. Le rapport de la CPAM [59] donne plus de 95 % d’amétropies ignorées lors des dépistages systématiques à 9 mois et 2 ans.
Un autre type de réponse dans ce domaine est apporté dans l’introduction du rapport de l’ANAES : « L’examen visuel à la naissance et à 9 mois fait déjà partie des bilans systématiques de santé de l’enfant, tels qu’ils sont préconisés par le carnet de santé, mais les modalités de l’examen gagneraient à être précisées ».
Le rapport « qualitatif/quantitatif »
Comme on peut le constater dans toute la littérature, l’orientation de tous les dépistages concerne essentiellement l’amblyopie et le strabisme, avec 2 options qui restent à discuter : le dépistage précoce des facteurs de risque (essentiellement l’examen réfractif) et la recherche semi-tardive des complications visuelles.
Sur le plan épidémiologique, on peut considérer comme un consensus une prévalence d’environ 3 % d’amblyopies dans les pays développés (critère AV < 0,8) de nature réfractive et un chiffre à peu près similaire de strabismes dont la moitié environ est susceptible de présenter une amblyopie au cours de leur évolution. Le choix d’autres critères visuels tel AV < 0,5 ou < 0,3 réduit nettement cette prévalence (1 à 0,5 %). La répartition de ces pathologies entre sujets à haut risque et sujets apparemment non prédisposés (parce qu’ignorés) n’est pas très précise.
Pour environ 800 000 naissances annuelles en France, la prévalence de la pathologie fonctionnelle (amblyopie et strabisme et en dehors des anomalies organiques) doit représenter environ 30 000 à 50 000 enfants par an selon les critères retenus. Si l’on s’intéresse aux seuls troubles réfractifs non compliqués (mais pour la plupart facteurs de risque et dont les conséquences sont souvent mal évaluées par rapport à la scolarité et développement socioculturel) on peut très pro-ba-blement retenir un chiffre de 150 000 à 200 000 enfants par an ! On peut donc a priori regretter que le terme de réfraction ne figure pas dans le carnet de santé, l’item d’acuité n’apparaissant lui-même qu’à 3 ans dans sa dernière version.
En dépit d’arguments convergents sur l’ampleur de l’épidémiologie des problèmes visuels, la nécessité d’un dépistage de masse précoce n’apparaœt pas implicite. L’argumentaire des éléments contradictoires est particulièrement développé dans les conclusions du rapport ANAES.
En l’absence de preuve formelle d’un impact important de la pathologie amblyopique et surtout de l’efficacité réelle des traitements précoces, il n’apparaœt pas à l’heure actuelle justifié de mettre en place un programme supplémentaire à l’existant. Il est néanmoins évident que les sujets à haut risque doivent bénéficier pour leur part d’un suivi particulier.
Il existe toutefois de multiples preuves qu’un dépistage précoce des facteurs de risque en général est relativement simple et que la mise en route d’un traitement précoce, à condition qu’il soit correct, améliore les résultats, au moins sur le plan individuel si ce n’est sur le plan statistique.
Le traitement en lui-même ne pose aucun problème. Les seules ré-ti-cences de la part des parents tiennent à des considérations psychologiques qui dépassent la simple logique médicale.
Un complément à ces arguments opposés doit donc être recherché dans les autres éléments de la discussion.
Existe-t-il des moyens simples de diagnostic et un/ou des tests convenables sont-ils acceptables par la population ?
La cycloplégie
Qu’il s’agisse des tests d’acuité subjective où des techniques de mesure ou d’évaluation de la réfraction, l’ensemble des examens modernes peuvent être considérés comme simples et avec une totale innocuité. Le seul problème est celui de la cycloplégie même si les accidents liés à l’atropine et au cyclopentolate sont rares. Leur gravité potentielle paraœt difficilement compatible avec le dépistage de masse car l’intervention d’un élément pharmacologique engage une responsabilité médicale qui passe obligatoirement par un contrat entre un praticien et les familles. Ce qui peut être réalisé sur une expérimentation à court terme ne l’est probablement plus sur une routine de long terme.
Philosophie du dépistage
À partir du moment où seuls les examens en réfraction manifeste semblent- acceptables, il faut prendre conscience que la « philosophie du dépistage » est différente d’une démarche diagnostique qui re-cherche la précision pour servir de base à une prescription éventuelle. Le dépistage est pour sa part un compromis acceptant l’idée d’un certain pourcentage d’erreurs (Taylor 1 985 [67]). L’objectif se traduit ici dans une démarche statistique qui consiste à rechercher le meilleur équilibre possible entre la fiabilité dans la recherche des sujets anormaux (sensibilité) et la fiabilité dans la recherche des sujets normaux (spécificité). Cet équilibre est en principe traduit par le score de la courbe ROC (Metz [51]).
La compréhension de cette démarche n’est toutefois pas uniquement comptable. Il existe en effet une priorité qui est mieux exprimée par les prévisions positives et négatives. S’il est intéressant de réduire le nombre de faux positifs pour obtenir un bon rendement du dépistage, il est certainement plus important de ne pas créer de faux négatifs, ce qui irait à l’encontre du but du dépistage. C’est la raison pour laquelle la plupart des résultats intéressants comportent un chiffre de spécificité et de valeur prédictive négative nettement supérieur à 90 %, alors que la sensibilité et la valeur prédictive positive affichent des scores nettement moins importants. Arnold (2 004 [7]) a signalé par ailleurs que les faux positifs ne constituent pas obligatoirement une erreur diagnostique mais peuvent simplement révéler un trouble accommodatif.
À côté de l’efficacité des diverses méthodes, il faut tenir compte d’un autre élément qui est la faisabilité. Sur ce plan il existe 2 constats opposés. Plus l’enfant est jeune et plus le refus par rapport à un appareil contact augmente et va modifier la spécificité de l’examen en raison de l’absence de résultat. Chez l’enfant plus âgé le caractère de prévention diminue et réduit son intérêt par rapport à l’examen subjectif.
Un autre élément qui doit intervenir dans la notion de dépistage organisé est que la réalisation d’un examen unique a un intérêt relatif s’il n’est pas suivi de contrôles. Pour Aurell (1 990 [13]) le caractère pathologique d’une réfraction est surtout lié à son absence d’évolution favorable. L’appréciation de ce critère est liée à la date choisie pour le dépistage, ni trop précoce ni trop tardif.
Existe-t-il un état latent ? Le mécanisme pathologique et le traitement sont-ils bien définis ?
La réponse à ces questions est indiscutablement positive.
L’état latent
L’évolution progressive de la maturité neurovisuelle permet une tolérance temporaire par rapport aux amétropies du nourrisson. Cette tolérance n’est cependant pas très prolongée en cas d’anomalie importante car on sait que des amblyopies profondes peuvent s’installer bien avant l’âge de 1 an, a fortiori s’il existe un strabisme. La période de sensibilité la plus importante pour les amétropies significatives couvre en effet les 2 premières années.
Le mécanisme de ces altérations est parfaitement établi et iconographié. Qu’il s’agisse d’amblyopie passive d’origine réfractive ou de phénomène de suppression active dans le strabisme, la traduction se fait par une perte rapidement irréversible du potentiel cellulaire cérébral lié à la binocularité mais aussi à la simple fonction oculaire de l’accommodation. L’existence d’une période réelle de sensibilité pourrait se prolonger dans certains cas jusqu’à 5 à 6 ans mais n’exclut pas certaines séquelles dans la qualité de la fonction visuelle.
Le traitement
Le traitement est parfaitement clair consistant dans le port le plus précoce possible de la correction optique totale ou subtotale selon les circonstances et le plus souvent associée à des mesures favorisant le travail de l’œil potentiellement dominé (page 276). Sur le plan du traitement il faut toutefois noter une présentation dommageable des résultats obtenus par Ingram (1 985 [41], 1 990 [45]). L’auteur a en effet considéré que le dépistage précoce était inutile devant l’échec de la correction optique précoce pour prévenir le strabisme et l’amblyopie. Le problème est qu’il s’agissait d’une correction partielle dont on sait qu’elle est inefficace dans les troubles sensori-moteurs. Les résultats présentés par Atkinson (1 987 [11], 1 996 [12]) sont plus favorables mais laissent un doute sur la validité statistique. Là encore il s’agit d’une correction partielle.
La place du coét économique
Le contrôle du dépistage
Entendu dans sa globalité, moyens techniques et moyens humains, le coût d’un protocole de dépistage s’avère également un élément décisionnel majeur.
Cette évaluation reste un élément difficile à cerner. Nous rapporterons ici quelques éléments chiffrés :
• Simonsz (1 992 [63]) insiste sur le coût très élevé de tout protocole de dépistage.
• Cordonnier (2 001 [25]) a évalué son dépistage en autoréfractométrie à environ 16 euros par enfant. Elle rapporte l’évaluation de Franchescetti- en Suisse à 13 euros et celle d’une publication américaine pour un photoscreening à 6 euros€.
• Arnold et al (2 005 [8]) ont évalué le surcoût d’un photodépistage par rapport au dépistage déjà existant à 120 euros par enfant sur une période de 10 ans.
• Joish et al (2 003 [46]) ont abordé le problème d’une manière beaucoup large en comparant le coût global de l’ensemble des étapes du dépistage au coût estimé de la pathologie amblyopique durant toute une vie. Il est apparu que le dépistage apporte toujours une balance positive des dépenses quelle que soit la méthode utilisée. Il apparaœt cependant que le protocole le plus rentable est celui d’un dépistage photoréfractif à l’âge de 3 à 4 ans, ce qui génère une économie évaluée à 20 euros par enfant.
Dans les difficultés d’évaluation il faut tenir compte du matériel utilisé, et des personnels nécessaires. Pour des pays de surface conséquente il faut tenir compte du nombre de sites de dépistage et de leur mobilité. La plupart des dépistages analysés étaient limités dans le temps et dans les lieux. Le rendement par enfant reste également tributaire du nombre d’enfants qui aura pu être réellement examiné dans une région donnée. Et sur ce plan Sjöstrand a rappelé qu’un dépistage plus tardif mais large et effectif est préférable a un dépistage de « pénétrance » insuffisante. On rappellera également que le principe et l’appréciation du dépistage comportent des échanges d’informations avec l’ophtalmologiste référent et que l’on sait que les retours d’informations à la source ne sont pas toujours excellents dans le dépistage visuel classique.
Le coût des lunettes
Bien que située en marge du dépistage lui-même la question du coût des lunettes en est une conséquence a priori incontournable et qui est susceptible d’alourdir la facture finale en fonction de la prise en charge sociale. Le problème est ici strictement matériel puisqu’il s’agit de savoir si le traitement précoce des amétropies non compliquées revient plus cher ou non que le traitement de l’amblyopie et du strabisme avérés. Là encore il existe de multiples facteurs pour influer sur le rythme de renouvellement des corrections. Compte tenu de la durée de vie du matériel optique dans les âges concernés, on peut considérer que la prise en charge précoce n’est probablement pas une solution plus économique.
Conclusion
Les problèmes visuels constituent un problème social que l’on ne peut pas la plupart du temps considérer comme grave mais qui est important par sa fréquence et par son impact dans le circuit éducatif. L’attitude face à cette situation doit prendre en compte 3 considérations :
• Sur le plan de l’épidémiologie il n’existe pas de véritable consensus même si les valeurs élevées restent les plus probables. Cette incertitude est principalement liée à l’absence d’harmonie dans la description des résultats (référence à la distribution gaussienne) et à l’utilisation de techniques différentes.
• Sur le plan de l’efficacité et de la fiabilité du dépistage non cycloplégique on constate nombre d’évaluations incertaines mais qui surtout sont dépendantes de facteurs parfois mal contrôlables. Les écarts par rapport à la skiascopie cycloplégique de référence sont le plus souvent nettement significatifs et la faiblesse dans l’évaluation de l’anisométropie dans la plupart des techniques en est la preuve la plus évidente. Il faut rappeler que l’anisométropie est le facteur le plus représentatif du risque amblyopique.
• La détection précoce des troubles réfractifs donne très probablement de meilleurs résultats thérapeutiques mais aucune étude prospective n’a en réalité été réalisée pour l’affirmer. Le dépistage tardif est plus facile à effectuer et touche plus facilement la majorité des enfants. La qualité des résultats reste toutefois à évaluer précisément.
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Une bibliographie complémentaire pourra être trouvée dans :
• ANAES [3]
• Cordonnier M [25].
• Simons K [62]
Date de création du contenu de la page : Juin 2010 / date de dernière révision : Décembre 2010